Une histoire des centres fermés – Episode 3

Photo © Maïlis Snoeck

Episode 3 : Un système sans garde-fou ?

Depuis la décision de mise en centre fermé jusqu’à l’expulsion, la procédure d’enfermement est entièrement gérée par des employés de l’Office des étrangers. La détention se fait ainsi sur base d’une décision émanant d’une administration - on parle de détention administrative - et non d’une instance juridique. La part d’arbitraire et l’important pouvoir confiés à l’Office des étrangers sont souvent dénoncés par la société civile.

 

« L’office des étrangers a un gros pouvoir. Les agents font plus ou moins tout ce qu’ils veulent car il n’y a aucune instance pour contrôler qui ils arrêtent, qui ils mettent en centre fermé, à qui ils donnent un ordre de quitter le territoire. L’office des étrangers, on l’appelle l’État dans l’État »

Evelyne, militante au sein du collectif Getting the voice Out

 

Un autre problème mis en évidence par les associations de défense des personnes en exil est le degré de latitude laissé aux agents de police qui contrôlent les arrivées à la frontière belge. En principe, la loi ne prévoit pas que les personnes arrêtées sans les documents requis à la frontière soient automatiquement envoyées en centre fermé. Et une décision de refoulement ne devrait être prise qu’après que le CGRA (Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides) ait refusé ou déclaré irrecevable la demande. Un demandeur de protection internationale ne devrait donc pas recevoir une décision de refoulement avant que l’instance d’asile ait pris position. D’autant plus qu’à ce stade, l’étranger n’a encore pas reçu d’informations complètes sur sa situation, informations qu’il ne reçoit qu’une fois en centre fermé. Dans la pratique pourtant, les personnes arrêtées aux frontières dans les aéroports sont systématiquement envoyées en centre fermé, alors même que le risque de fuite de la personne n’a pas été examiné. Comme l’organisation belge NANSEN, spécialisée en droit des réfugiés et droits de l'homme (https://nansen-refugee.be), le documente dans ses constats pratiques, de nombreux étrangers se présentant à la frontière ne comprennent pas pourquoi ils sont arrêtés. Ils ne comprennent pas non plus la teneur des documents qu’on leur demande de signer, ni la raison de leur détention en centre fermé. Pourtant, cette étape devant les garde-frontières est cruciale puisque c’est sur base du rapport qui sera rédigé à la suite de cette arrestation et envoyé à l’Office des étrangers, qu’une décision de refoulement sera prise.

Des délais de détention sans fin

 

En principe, la loi prévoit deux mois de détention dans un premier temps. Une prolongation de deux mois est possible. Une prolongation supplémentaire d’un mois peut être décidée, mais uniquement par le Ministre de l'Intérieur. Au bout de cinq mois, l’étranger doit être libéré. Toutefois, si l’Office des étrangers estime que la sauvegarde de l’ordre public l’exige, la détention peut aller jusqu’à huit mois. Souvent, les personnes sont libérées à la fin de ces délais. Cependant, les compteurs sont remis à zéro à chaque nouvelle décision de détention. C’est le cas notamment lorsque la personne s’est opposée à son éloignement/refoulement, ainsi qu’à chaque changement de titre de détention (ex: séjour illégal puis demande d’asile). Par conséquent, la détention ne connaît pas de limite dans le temps. La seule limite est celle fixée par la directive de retour qui prescrit un maximum de 18 mois (https://www.cire.be/wp-content/uploads/2016/02/20160120-kit-transit.pdf).

 

Un système de plainte défaillant

 

Il n’existe actuellement en Belgique aucun mécanisme de contrôle des centres fermés. Si la Belgique a signé en 2005 le Protocole facultatif de la Convention des Nations Unies contre la Torture (OPCAT), le document n’a cependant pas encore été ratifié. Ainsi, aucune garantie n’est ainsi apportée en Belgique quant à l’indépendance des institutions chargées du contrôle des lieux de privation de liberté. C’est un problème en particulier concernant les centres fermés qui sont des lieux de détention administrative, sans contrôle judiciaire.

En ce qui concerne le système de plainte, celui-ci prévoit deux possibilités. Soit la personne introduit une plainte auprès de la Commission des plaintes (par mail ou via le directeur du centre), soit elle introduit la plainte directement auprès du directeur du centre. Dans le premier cas, un·e détenu·e devra envoyer un mail à la Commission des plaintes ou passer par la direction du centre fermé pour atteindre la Commission, ce qui a certainement un effet dissuasif sur les détenu·e·s. Dans le deuxième cas, il devra directement s’entretenir avec le directeur du centre. De manière générale, les détenu·e·s craignent qu’une plainte entrave une issue positive à leur détention, aggrave leurs conditions de détention ou accélère la procédure d’expulsion. Ce qui constitue un premier frein au dépôt de plainte. Lorsqu’une plainte est effectivement déposée auprès de la Commission des plaintes ou du directeur, il est très compliqué d’observer un suivi approprié. D'abord parce qu'en ce qui concerne la Commission des plaintes, les délais de traitement sont très longs, ensuite car les personnes détenues ayant porté plainte sont difficiles à contacter une fois qu’elles sont sorties du centre fermé (a fortiori lorsqu’elles ont été expulsées vers leur pays d’origine).

Par ailleurs, il y a peu de transparence au cours de la procédure de plainte. Lors du premier confinement en 2020, Myria a enregistré une recrudescence des tensions dans les centres et des témoignages faisant échos de plaintes, pourtant seulement deux plaintes officielles ont été enregistrées entre les mois de mars et juillet.

 

« Chez Myria, on reçoit un courrier de la Commission des plaintes pour chaque plainte introduite. Dans celui-ci, on a le sujet de la plainte, la décision que le secrétariat ou que la Commission a prise mais ça reste très basique, on a finalement accès à très peu de choses en termes de contenu alors qu’on est censés être l’institution qui a un accès à ça justement. Puis souvent ce que les autorités disent c’est qu’il n’y a pas beaucoup de plaintes qui sont introduites et que donc la situation dans les centres est bonne. Mais le faible nombre de plaintes peut aussi montrer que le mécanisme n’est peut-être pas assez accessible pour les personnes qui aimeraient introduire une plainte. Lors de nos visites en centre pendant le confinement, quand on expliquait aux personnes dans les centres qu’elles pouvaient introduire une plainte à la Commission, elles n’étaient pas à l’aise avec cette idée »

Carolina Grafé, juriste chez Myria

 

Droits de visite trop peu exploités

 

En Belgique, un droit de visite dans les centres fermés est prévu par la loi. Ainsi l’Office des étrangers offre une accréditation à certaines personnes et institutions dont font partie les Parlermentaires, Myria et certaines ONG qui constituent le "groupe Transit" (JRS pour les centres Caricole, Bruges et Merksplas, Caritas pour les centres Holsbeek et 127bis, Point d’appui pour celui de Vottem). Ces institutions ont alors l’autorisation de se rendre dans les centres pour rencontrer les personnes détenues. Ce droit de visite est cependant critiqué à différents égards. D’abord, parce que si les membres accrédités peuvent en théorie se rendre quand ils le souhaitent dans les centres, ce n’est pas toujours le cas en pratique. Par exemple, Myria doit prévenir l’Office des étrangers et la direction des centres avant une visite. Et s'il est généralement respecté par l’Office des étrangers, le droit de visite n’est pas forcément utilisé par ceux qui peuvent y prétendre : les Parlementaires effectuent rarement des visites dans les centres fermés, Myria n’a pas l’opportunité de se rendre dans tous les centres fermés du pays de manière régulière, les membres du groupe Transit sont souvent des associations avec peu de moyens qui peinent à répondre à toutes les sollicitations des détenu·e·s.

« Le contrôle est très flou. Certes, on a le droit de rentrer dans les centres mais on dépend de l’Office des étrangers qui nous accréditent. En prison, ce sont des commissaires indépendants qui contrôlent par exemple… Puis nous ne sommes pas assez de contrôleurs, mon collègue et moi, nous sommes les seuls représentants citoyens qui pouvons accéder à l’intérieur, aux chambres, aux cachots et le cachot encore difficilement. C’est un boulot très très lourd, très peu efficace en termes de réussite. On se retrouve face à des procédures compliquées et des personnes qui risquent de se faire expulser pour rien, c’est dur, et ça prend énormément de temps, les associations n’ont donc pas nécessairement des travailleurs à affecter à ce travail ».

Amélie Feyes, travailleuse à l’asbl Points d'appui, et visiteuse accréditée par l’Office des étrangers.

Par ailleurs, pendant le confinement imposé suite à la crise du Covid-19, les Parlementaires se sont vus refuser leur droit de visite, pour des raisons sanitaires alors que, durant cette période, de nombreux·se·s détenu·e·s se sont plaints de leurs conditions de détention.

 

Contrôle des expulsions sans transparence

 

C'est l'AIG, l'inspection générale des services de police qui est habilitée à contrôler les retours forcés. Dans la pratique, toutefois, elle ne procède à un contrôle (partiel ou complet) que dans des cas déterminés, en fonction des moyens humains et budgétaires, ou du risque d'incidents. En général les éloignements avec escorte sont ceux pour lesquels l’AIG donnera une priorité. Dans son Myriadoc détention 2018, Myria a compilé les chiffres des rapports annuels de l’AIG 2013-2017. On y voit qu’en 2017, l’AIG a effectué 92 contrôles à l’aéroport de Zaventem pour 7.901 tentatives d’éloignement dont 1.475 avec escorte. Depuis 2013, il y a eu une diminution de 41% des contrôles effectués par l’AIG. Pour l’aéroport de Gosselies, l’AIG a effectué 10 contrôles sur 746 tentatives d’éloignements en 2018 (7 avec escortes et 739 sans escorte). À ce sujet, Myria a publié un commentaire : « Myria reconnait la difficulté du travail de l’AIG et souligne l’engagement des personnes qui y travaillent. Mais Myria pointe aussi depuis de nombreuses années, le manque de moyens, d’effectifs et d’indépendance de l’AIG pour mener à bien ses missions. L’absence de publicité de ses rapports pose également question quant à la transparence : le déroulement chronologique de chaque tentative d’éloignement contrôlée mais aussi les informations annuelles sur le nombre de contrôles effectués, le nombre de retours forcés, les moyens de contrainte utilisés, les atteintes à l’intégrité physique (d’un étranger ou d’un membre de la police), un aperçu des plaintes enregistrées. Ces informations sont d’intérêt public. Depuis 2014, Myria a tenté, dans le cadre de sa mission légale de veiller au respect des droits fondamentaux des étrangers, d’obtenir copie des rapports de l’AIG sans succès, se confrontant à un refus du Ministre de l’Intérieur et ce, malgré le droit inscrit explicitement dans sa loi organique d’accéder à ce type d’informations”. (https://www.myria.be/fr/evolutions/opinie-transparantie-is-de-prijs-van-recht-en-efficientie).

Après de nombreuses tentatives pour obtenir une copie des rapports de l’AIG et un refus du Ministre de l’Intérieur, un arrêt du Conseil d’État sur la publicité de ces documents permet à Myria de recevoir, depuis 2017, copies des rapports annuels et de contrôle de l’AIG…