Centre d’accueil de Jalhay : quand les demandeur⸱ses d’asile paient le prix de la privatisation

Update 23 avril 2021 :

 

Plan de l'article

 

 

Lundi 19 octobre 2020, les travailleur·ses de la Croix-Rouge qui officiaient au centre pour demandeur·ses d’asile installé sur le site du camping Spa d’Or à Jalhay ont cédé leurs fonctions à une nouvelle équipe de collaborateurs. Car depuis lors, le centre est coordonné par la société privée Svasta. Depuis ce passage de flambeau, notre collectif a été contacté à plusieurs reprises par divers informateur⸱rices qui souhaitaient nous alerter sur de nombreux dysfonctionnements dans le centre. Cet article vise à faire la lumière sur ces témoignages qui n’ont jusqu’ici trouvé aucune résonance auprès des médias traditionnels, de l’opinion publique ou des instances et responsables politiques en charge de l’accueil. Plus largement, nous souhaitons interroger la pratique du recours aux opérateurs privés pour gérer les centres d’hébergement de demandeur·ses d’asile en Belgique.

Commençons par un rappel des faits.

En 2015, alors que la Belgique ne parvient pas à gérer l’accueil des demandeur.ses d’asile, Fedasil, qui est l’agence fédérale responsable de l’accueil des demandeur·ses de protection internationale, ouvre dans l’urgence un nouveau centre d’hébergement au camping Spa d’Or à Jalhay. Celui-ci vise à pallier le manque d’infrastructures de manière temporaire. En novembre 2016, le centre ferme ses portes. Trois ans plus tard, en octobre 2019, à nouveau en manque de structures d’accueil, Fedasil ouvre à nouveau un hébergement pour demandeur·ses d’asile sur le site du camping Spa d’Or, et en confie la gestion à la Croix-Rouge, l’un des partenaires privilégiés de Fedasil dans ce domaine. Peu après, en novembre 2019, Fedasil ouvre un marché public afin que des acteurs privés puissent proposer des projets de structures d’accueil sur l’ensemble du territoire belge.

 

Au mois d’août 2020, alors que tout se passe bien sur le site entre les résident·es et la Croix-Rouge, et  que celle-ci a investi d’importantes sommes pour rénover le camping afin de pouvoir y accueillir dignement les candidat·es à l’asile, la gestion du centre est attribuée à l’entreprise privée Svasta. Celle-ci avait répondu à l’appel d’offres lancé par Fedasil en novembre 2019.  Svasta, qui se présente comme une coopérative à finalité sociale, appartient au groupe Corsendonk, un important investisseur flamand qui dispose d’hôtels et de clubs de vacances en Belgique, et exerce également des activités de consultances dans le secteur des soins aux personnes âgées en Inde. Et à la tête du groupe Corsendonk, on retrouve Dominique Nedée, qui n’est autre que le propriétaire du camping Spa d’Or de Jalhay (nous revenons en détail sur les liens entre Svasta et Corsendonk plus loin dans cet article).

 

En octobre 2020,  le changement de gestionnaire s’organise. L’accueil est prévu pour une nouvelle période de douze mois, avec une prolongation possible de six mois supplémentaires. Lors de la passation de flambeau, l’agence Fedasil publie un communiqué de presse, dans lequel elle se réjouit de ce partenariat avec le secteur privé qui permettra d’augmenter le nombre de places disponibles dans le centre de Jalhay. Le nombre de lits passerait ainsi de 250 à 260, affirme Fedasil qui assure que « l’accompagnement prévu par Svasta répond aux mêmes critères de qualité que ceux appliqués par Fedasil et la Croix-Rouge ». Pourtant depuis que Svasta a repris les rênes du centre de Jalhay, des voix ne cessent de dénoncer d’importants changements au niveau de la qualité de l’accueil et des conditions quotidiennes de vie dans le centre.

À propos du réseau d'accueil en Belgique

 

Depuis vingt ans, l’agence fédérale Fedasil est chargée de l’accueil des demandeur·ses d'asile en Belgique, réparti entre des logements individuels et collectifs. Le réseau de ces derniers compte environ 80 centres d’accueil, que l’agence gère elle-même ou en partenariat. Historiquement, la gestion de l’accueil est réalisée par les pouvoirs publics (Fedasil) ou, dans la majorité des cas, en partenariat avec des ONG dont la Croix-Rouge. Le mode de gestion évolue cependant à partir de 2015, lorsque le nombre de demandes d’asile augmente rapidement. Le gouvernement belge, dont le réseau d’accueil est saturé, justifie alors le recours au secteur privé pour répondre à l’urgence humanitaire de la situation. Pourtant, six ans après, et alors que l’arrivée des demandeur·ses d’asile sur le territoire a drastiquement baissé, Fedasil continue de faire appel aux entreprises privées.

Aujourd’hui, le réseau belge de centres d’accueil se compose de 81 structures d'accueil collectives, pour environ 28.000 places d'accueil. Ces structures collectives sont des centres gérés par l’agence Fedasil elle-même (28), la Croix-Rouge de Belgique (23), De Rode Kruis Vlaanderen (19), le Samu social (2), Caritas (2), les Mutualités socialistes (1). Les six centres d’accueil restants sont gérés par des entreprises privées comme la société My assist à Marcinelle ou Umami à Hasselt. La société G4S gère les centres d'Etterbeek, Kalmthout, et depuis le mois de février, celui de l’ancienne clinique de Saint-Joseph à Liège. Enfin, Svasta a repris la gestion du centre de Jalhay en octobre 2020. D’ici peu, Svasta gèrera également le centre Sol Cress à Spa.

Quand Svasta reprend Jalhay

La réduction du personnel et ses conséquences

 

La transition de la Croix-Rouge à Svasta s’accompagne avant tout d’une réduction du personnel, passant de 30 à 12 travailleur·ses. De l’ancienne équipe, il ne reste que cinq membres, rapidement réduits à deux, en raison de la nouvelle gestion.

Les conséquences de ce fonctionnement en sous-effectif se font rapidement ressentir du côté des résident·es.

« Au début, ils n’avaient même pas d’ordinateur, explique une résidente, le courrier n’était pas distribué à temps. Une autre résidente n’a pas été en mesure d’introduire un recours car la lettre lui est parvenue trop tard. »

 

Outre le courrier, ce manque de personnel et d’équipement impacte également le service médical du centre. C’est alors une résidente qui se charge d’encoder les données médicales des résidents dans un fichier Excel. Ces changements dans le personnel affectent profondément la communication avec les résident·es. Celleux-ci ne sont pas prévenu·es quand, en raison de travaux, on leur coupe le gaz, l’eau ou l’électricité. Mais, plus généralement, ils et elles éprouvent un manque de considération. Suite à certains de ces travaux, ce n’est qu’après quatre jours et une série de plaintes sans suite auprès de l’infirmerie qu’une fuite de gaz est finalement constatée dans l’une des habitations.

 

Le manque d’effectif provoque également une absence de contrôle sur les entrées et les sorties du centre. Lorsqu’un matin une employée du centre ramène les enfants de l’école maternelle, exceptionnellement fermée ce jour-là, elle les laisse  dans le hall d’accueil, vide, sans prévenir quiconque. Pour E.1, comme pour d’autres parents, c’en est de trop :

« J’ai quitté mon pays pour mettre ma fille à l’abri, et voilà qu’on la laisse sans surveillance alors qu’elle n’a que trois ans ? C’est un autre résident qui m’a avertie, car il a vu que ma fille s’apprêtait à traverser la rue ».

 

L’ensemble des résident·es organise une manifestation dans le centre, avec leurs revendications. Le propriétaire et le directeur du centre promettent des améliorations. Quelques mois après, plusieurs des problèmes soulevés persistent.

 

Réduction du budget dédié à la nourriture

 

Comme dans d’autres centres dont elle a la gestion, la Croix-Rouge avait mis en place à Jalhay un système permettant aux résident·es de faire leurs courses et de préparer elles et eux-mêmes leurs repas, dans le but de satisfaire les résident·es et d’éviter le gaspillage. Après avoir réalisé une étude, la Croix-Rouge avait décidé d’attribuer un montant de 5,10 € par résident·es et par jour pour ces frais de nourriture. Quand Svasta a repris la gestion du centre, ce montant a été abaissé de manière arbitraire.

 

Graves manquements en soins de santé

 

Tandis que la Croix-Rouge organisait les visites de deux médecins dans le centre, assurant une présence d’un médecin/7 jours, Svasta ne recourt qu’à un seul médecin, présent deux jours par semaine. Des deux infirmières présentes dans le centre, l’une est partie sans être remplacée (cela faisait six semaines lorsque nous recevions ces récits). Les prises de sang ne se déroulent plus dans le centre, mais nécessitent plus de 35 minutes de marche pour rejoindre un laboratoire externe. La gestion désastreuse des dossiers médicaux et du suivi administratif conduit les résident·es à s’en charger par elles et eux-mêmes. « Des résidents ont eu leur intervention à l’hôpital annulée car le centre n’a pas rempli les papiers pour Fedasil. », nous explique-t-on. C’est finalement les résident·es qui contactent le médecin, le service de facturation de l’hôpital, communiquent les papiers à Fedasil et programment une nouvelle date d’intervention.

 

Cette négligence de Svasta concerne de manière répétée l’accès aux médicaments. L’attente des résident·es peut durer des semaines, et se résout généralement lorsque les résident·es finissent par se les procurer eux et elles-mêmes. Dans les récits que nous recevons, c’est également d’enfants en bas âge dont il est question. Plusieurs témoignages relatent l’impossibilité pour des enfants d’avoir accès aux soins le week-end. Dans certains cas, les employé·es du centre sollicité.es en week-end conseillent de recourir à des « méthodes naturelles pour se soigner ». En réaction au manque d’approvisionnement de médicaments et aux négligences de l’infirmière, une cinquantaine de résident·es du centre organise une réunion pour exprimer leurs plaintes . Pour autant, rien ne change et l’infirmière est toujours en fonction. Il y a quelques semaines, X. s’est adressée à elle pour son problème à l’œil pour lequel elle attend un rendez-vous depuis deux mois. L’infirmière l’agresse, lui crie dessus. X. filme la scène, c’est sa seule preuve des attitudes de l’infirmière. Celle-ci lui griffe l’œil et casse son téléphone, X. doit se rendre à l’hôpital de Verviers et dépose plainte à la police - en vain. À son retour, la direction lui annonce qu’elle est transférée dans un autre centre d’accueil sous prétexte d’être « une personne agressive ».

 

Plusieurs témoignages rapportent les menaces récurrentes de la direction comme seules réponses aux plaintes des résident·es sur l’accès aux soins de santé ou leurs conditions de vie dans le centre. La directrice de Svasta les menacerait d’être transféré·es dans un centre « plus mauvais », mais également « d’abîmer leur processus de demande d’asile », et le risque de recevoir une réponse négative. Pour un grand nombre de résident·es, cette intimidation provoque un sentiment de peur, les empêchant de « réclamer » quoique ce soit.

 

Le 16 janvier dernier, un résident atteint d’un cancer décède du Covid-19 dans le centre. Pour les résident·es, il y a clairement de la négligence et de la maltraitance pour ce patient, déjà laissé à son sort par le personnel lorsqu’il s’effondrait dans un couloir du centre. Là aussi, les résident·es lui avaient porté secours plutôt que les employés. S’il y a un manque d’expérience certain, c’est aussi un manque d’intérêt criant pour les résident·es qui caractérise la gestion de Svasta.

 

Logements insalubres

 

Au fond du camping de Spa d’Or se trouvent une dizaine de chalets. Évacués depuis 2015, ils ne servaient qu’à stocker du matériel lorsque le centre était sous l’égide de la Croix-Rouge. Et pour cause, ces chalets ne sont adaptés à rien d’autre : ils ne disposent d’aucun sanitaire, d’aucun raccordement d’eau, il n’y a qu’un chauffage électrique. Lors de sa reprise, Svasta a pourtant décidé d’y loger plusieurs résidents afghans, qui y vivent toujours.  Ces logements sont pourtant rongés par l’humidité et insalubres. Les résidents qui y vivent doivent marcher plus de cent mètres pour accéder à des toilettes.

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Photo du centre de Jalhay:

Les résidents positifs au Covid-19 sont isolés derrière des barrières.

Selon des témoignages, ce sont d'autres résident·es qui leur apportaient de la nourriture, car l'équipe de Svasta les aurait oubliés.

 

Du service communautaire à l’exploitation

 

Les dérives de la gestion de Svasta ne s’énoncent pas uniquement en termes de manquements, mais également en termes de détournement : en l’occurrence, celui des services communautaires. Dans le jargon des centres d’accueil, le « service communautaire » correspond à un ensemble de tâches que les résident·es peuvent réaliser dans le centre, comme le nettoyage des communs, la distribution des repas, la vaisselle, etc. En contrepartie de ces services, ils et elles reçoivent un supplément à l’argent de poche qui leur est versé. Comme le précisent la loi et la documentation interne à Fedasil, il s’agit uniquement d’activités au bénéfice de la collectivité des résidents qui séjournent dans la structure d’accueil ou dans le cadre d'une activité organisée par/ou en collaboration avec cette structure et qui contribue à son intégration au sein de l’environnement local. Ces tâches ne sont pas considérées comme un contrat de travail et la loi stipule clairement qu’elles doivent s’effectuer sur base volontaire.

 

Dans les centres gérés par Fedasil, l’agence a fixé le tarif à 1,5 € / heure. Cependant, chaque centre est libre d’appliquer le tarif horaire qu’il souhaite, pour autant qu’à la fin du mois les résident·es perçoivent une allocation qui reste inférieure à un certain montant - ce montant est souvent de 125 € par mois dans la pratique. De manière générale, ce système peu encadré légalement a déjà fait l’objet de critiques dans les centres, au sein du réseau d’accueil et par le Médiateur fédéral (2009), parce qu’il n’est pas accessible de manière égale à tous les résidents, que les tarifs varient d’un centre à l’autre et que ce système peut assez facilement être assimilé à de l'exploitation au vu du tarif horaire et de la position vulnérable des résident·es. Et c’est visiblement ce que Svasta n’a pas hésité à faire à Jalhay.

 

Les résident·es savent que les services communautaires ne sont pas obligatoires. Cependant, cela reste leur seul moyen de gagner quelques dizaines d’euros par mois, comme le rapportent des témoignages d’autres centres. Après la reprise du centre, Svasta a revu à la baisse les montants octroyés, sans transparence vis-à-vis des résident·es.

« Ils [Svasta] te donnent un papier, ils te disent que tu travailles du lundi au vendredi de 10h à 12h, par exemple, raconte une résidente, mais ils ne précisaient pas au début le tarif pour les heures. Il y en a qui travaillaient une semaine, et on ne les paie pas, ou alors on les paie 5€ pour la semaine, (…) C’est de l’exploitation ce qu’ils font. Il y a des personnes qui travaillent et elles doivent aller se plaindre pour recevoir leur argent, car elles n’ont pas été payées, c’est humiliant. »

 

C’est également la manière de compter les heures qui a changé du jour au lendemain. Si avec la Croix-Rouge tout heure entamée est comptabilisée, les résident·es sont désormais payés à la minute. En réaction, plusieurs d’entre elles et eux ont tout simplement arrêté de travailler. La directrice de Svasta, quant à elle, recourt aux menaces et aux moyens de pression. Elle assure aux résident·es qu’elle tient des rapports sur les personnes qui réalisent les services communautaires et celles et ceux qui refusent de le faire. Elle préciserait également aux résident·es que cette information serait mentionnée dans leur dossier de demande d’asile. À d’autres, la directrice de Svasta déclare qu’elle contacterait l’Office des étrangers en cas de refus des services communautaires, qu’elle mettrait fin à leur procédure de demande d’asile, que les réfractaires se retrouveraient à la rue, sans rien.

 

Ces pratiques de Svasta enfreignent la base volontaire sur laquelle les services communautaires doivent reposer. Mais, plus grave encore, Svasta utilise le principe des services communautaires pour faire travailler les résident·es à l’aménagement d’un autre centre, à Spa. Toujours en négociation lorsque nous rédigeons ces lignes, le centre de Sol Cress de Spa est un hôtel qui appartient au groupe Corsendonk, comme le camping Spa d’Or, sur lequel se trouve le centre de Jalhay. La gestion des deux centres est confiée à la coopérative Svasta, qui appartient également au groupe Corsendonk. Pour réaliser l’aménagement de son futur centre d’accueil Sol Cress, Svasta/Corsendonk fait donc travailler sous pression et pour moins d’1,5€ / heure les résident·es du centre Svasta/Corsendonk de Jalhay. Ces pratiques sont illégales, hautement immorales et questionnent sérieusement le positionnement éthique de la Coopérative à finalité sociale et de sa propriétaire, la chaîne hôtelière Corsendonk. Le groupe hôtelier détourne clairement les principes des services communautaires : le travail réalisé n’est pas au bénéfice de la collectivité des résident.es, puisqu’il s’agit d’un autre centre que le leur, et ce travail ne participe nullement « à son intégration au sein de l’environnement local ». Ce dont il s’agit, c’est du détournement d’une forme de bénévolat au profit d’un groupe hôtelier.

Un déficit de normes et de contrôles

Suite au constat de ces graves manquements dans la gestion de Svasta, nous nous sommes penchés sur les mécanismes de contrôle des centres d’accueil. En Belgique, le cadre juridique est défini par la loi du 12 janvier 2007 sur « l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d’étrangers ». Cette loi transpose les directives (2003/9/CE et 2013/33/EU) de l’Union Européenne qui fixent des normes minimales sur les conditions d’accueil des demandeur·ses afin de leur assurer une vie digne et qui visent à harmoniser ces normes dans les différents États membres, comme l’explique Fedasil sur son site. Cependant, l’arrêté royal censé définir les normes auxquelles les structures d'accueil doivent répondre tant en termes qualitatifs qu'en termes d'infrastructure ainsi que les modalités de contrôle (article 17) fait encore défaut. Dès lors, il n’existe en Belgique aucun document contraignant ayant fait l’objet d’une publication qui définisse clairement les normes minimales à respecter dans les centres d’accueil.

 

Les manquements de Fedasil quant à l’application des normes de la Loi accueil de 2007 a donné lieu à des critiques dans le passé. Depuis juillet 2018, un document interne au réseau de partenaires Fedasil vise à clarifier l’application de ces normes minimales d’accueil. Ce document contient une série de recommandations très précises concernant l’accompagnement des demandeur.ses d’asile, l’aide matérielle et les infrastructures d’accueil. On peut par exemple y lire que la structure d’accueil doit garantir l’accès à des soins médicaux (B.1 à B.5), que les prestations liées au service communautaire sont effectuées sur base volontaire (C.22), qu’une chambre à coucher doit mesurer au moins 8m² (D.15) ou encore que les logements partagés doivent être chauffés à une température minimum de 20 degrés (D.4). Ce document n’est cependant publié nulle part. Il s’agit d’un instrument non-officiel pouvant guider les structures d’accueil et servir de base pour les audits réalisés par Fedasil. Toutefois, n’ayant donc pas de valeur sur le plan juridique, il n’est aucunement contraignant et les opérateurs privés n’ont dès lors aucune obligation de s’y soumettre. Faute de moyens, il est à craindre que ces recommandations ne soient pas appliquées par Fedasil elle-même, ni ses autres partenaires.

 

En ce qui concerne les contrôles, la loi accueil prévoit la visite d’avocats, des représentants du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et les ONG qui agissent en son nom, ainsi que des contacts avec les associations ayant pour objet l'accueil des étrangers et la défense de leurs droits (Loi accueil, art. 20-21).

 

Un contrôle des chambres est également prévu (art. 19§2) afin de garantir des mesures de sécurité, d’hygiène, le respect du règlement intérieur et la protection des droits et libertés des autres bénéficiaires de la structure d'accueil et des membres du personnel. Ce contrôle se limite dans les faits à une inspection au niveau de l'infrastructure plus que du bien-être des résident·es dans la structure d’accueil. De manière générale, aucune visite de contrôle n’est prévue suite à l’ouverture d’un centre afin de vérifier qu’il n’y ait pas de manquements de la part des gestionnaires. Seul un audit annuel est prévu…

 

La procédure de traitement des plaintes semble également peu efficace puisque la loi prévoit que celle-ci doit passer par le responsable du centre d’accueil. Or, à Jalhay, les résident·es savent que la direction de Svasta ne fait rien des plaintes qu’ils et elles remettent. Néanmoins, les résident·es demandent ces formulaires à la direction et prennent soin de les conserver afin de bénéficier de preuves qu’il n’est pas possible de porter plainte ou de donner son avis.

 

Le 30 octobre 2020, lors d’une séance de la commission de l'Intérieur, de la sécurité, de la migration et des matières administratives, la problématique de l'externalisation du réseau d'accueil à des acteurs privés fait l’objet d’une intervention parlementaire de la part de Simon Moutquin, Greet Daems et Ben Segers, adressée à Sammy Mahdi, secrétaire d'État à l'Asile et la Migration. Les questions formulées par les parlementaires avaient notamment trait à la garantie de respect des normes minimales d’encadrement, des budgets alloués aux opérateurs, aux risques de cette pratique pour les résident·es des centres, à l’existence ou non de contrôles et à la manière dont les procédures d’attribution des marchés sont gérées. Dans sa réponse, Monsieur Mahdi a affirmé que « les normes minimales pour l'accueil ont été fixées dans le cahier des charges du marché public pour les places d'accueil. Plusieurs services de Fedasil doivent donner leur feu vert avant qu'un centre privé puisse accueillir des pensionnaires. Les exploitants privés sont enregistrés dans le système de monitorage pour  les structures d'accueil. Il sera procédé à un audit dans un délai compris entre quatre et six mois après l'inauguration du centre ».

 

Nous nous sommes procurés les cahiers des charges des deux appels d'offres lancés en novembre 2019 par Fedasil dans le cadre desquels le centre de Jalhay a été attribué à Svasta. Les normes minimales de l’accueil mentionnées par S. Mahdi sont contenues dans une annexe que nous n’avons pas été en mesure de consulter, mais qui semble porter uniquement sur des aspects normatifs au niveau technique. Par ailleurs, les documents explicitent clairement que les offres sont classées de manière économiquement avantageuse au regard des critères d’attribution. L’organisation, les qualifications et l’expérience du personnel assigné à l’exécution des services ne constituent que le quatrième et dernier critère dans l’ordre d’importance pour l’attribution du marché… Quant au contrat établi entre Fedasil et Svasta, Fedasil nous a fait savoir qu’il découle d’une procédure négociée sans publication et qu’il n’est pas accessible publiquement.

 

Force est de constater que les normes et contrôles qui permettent de garantir le bien-être des résident·es des centres d’accueil apparaissent être bien limitées en Belgique, ce qui laisse aux gestionnaires en fin de compte une grande marge de manœuvre pour effectuer des coupes budgétaires à l’intérieur des hébergements et réaliser des marges bénéficiaires. Ainsi, le nombre de dossiers que chaque travailleur social/accompagnateur doit traiter dans chaque structure d’accueil ne fait l’objet d’aucune réglementation contraignante et peut varier fortement d’une structure à l’autre. Aucun montant minimal relatif aux dépenses dédiées à chaque résident·e n’est défini par la loi. Il est alors aisé pour les gestionnaires de diminuer le budget consacré à la nourriture et de réduire drastiquement les équipes de collaborateurs afin d’effectuer de substantielles économies, et d’engranger des marges bénéficiaires, au détriment de la qualité de vie dans le centre.

Derrière Svasta, le groupe Corsendonk

Créée en 2017, Svasta est une coopérative à finalité sociale enregistrée sur trois sites qui appartiennent à Corsendonk : celui du Camping Spa d’Or de Jalhay, où le centre d’accueil est en activité, celui de l’hôtel Sol Cress de Spa, dont le centre est en préparation, et celui du Camping Petite Suisse de Dochamps (Manhay). Pour ce dernier, aucune ouverture de centre ne semble officiellement prévue. Un centre d’accueil géré par la Croix-Rouge est déjà en activité sur la même localité.

 

Svasta est administrée par Dominique Nédée et son épouse. La coopérative appartient, comme mentionné dans le début de cet article, à la société Corsendonk et au club De Linde (enregistré en tant que « asbl De Linde », il s’agit du premier établissement du groupe hôtelier). Ces deux dernières sont également dirigées par Dominique Nédée. Il semblerait que Svasta, sous la forme d’une coopérative à finalité sociale, serve de structure pour l’octroi des marchés publics de centre d’accueil et leur gestion sur les sites de Corsendonk. En d’autres termes, Svasta, tout en assurant une image certainement plus éthique que celle d’un groupe hôtelier, sert à faire fonctionner des établissements de Corsendonk.

 

En Belgique, le groupe Corsendonk est avant tout actif dans le domaine de l'hôtellerie avec sept clubs de vacances et hôtels de luxe principalement implantés dans la province d’Anvers, et trois campings. D’autres entreprises s’y ajoutent. À l’hôtel Corsendonk Viane se trouvent également l’entreprise de restauration De Kolonie, une entreprise de photographie, Sercu Microdata, et une entreprise de prestation de services administratifs, SO Services. Le groupe est également actif dans le coaching et le team building avec Corsendonk Support, et dans la publicité avec Core-S-Id. Depuis 2004, le groupe s’est établi en Inde à travers Corsendonk Consultants, implanté notamment à Hyderabad, Tirupati et Delhi, où il mène des activités de consultances dans le secteur des soins aux personnes âgées et un projet de maison de repos de luxe. Le groupe Corsendonk est aussi actif en Slovaquie avec trois entreprises (Corsendonk Services Slovakia, Nedon Investment et Core-S-It). Dominique Nédée est l’administrateur, parfois exclusif, de l’ensemble de ses entreprises et toujours en son nom propre2.

 

Les bilans publics de ces sociétés ne permettent pas d’en évaluer le chiffre d’affaires. Cependant, ils permettent de constater un ensemble de participations croisées entre les entreprises. Celles-ci sont généralement réalisées dans un but d’optimisation et de dilution des responsabilités. Nous n’avons aucun élément pour évaluer ces pratiques comptables sur le plan légal, mais dès lors qu’elles engagent l’argent public dédié à l’accueil de candidat·es à l’asile, on ne peut que se questionner sur leur dimension morale.

À la tête de l’ensemble de ces entreprises, il y a la figure de Dominique Nédée, héritier du banquier Fernand Nédée. Dans les années 1960, ce dernier est directeur anversois de la Banque de Paris et des Pays-Bas, connue par la suite sous le nom de Paribas, puis directeur de Cobepa, l’une de ses filiales. Président du CA de Paribas, Fernand Nédée est également co-fondateur du journal De Tijd. Dominique Nédée hérite entre autres du prieuré Corsendonk, acheté et restauré par son père et toujours en activité. En dehors du milieu économique, Dominique Nédée s’aventure brièvement sur le champ du politique. Aux élections fédérales de 2007, on le retrouve sur les listes de LDD - Libertair, Direct, Democratisch, le parti ultra-libéral de droite radicale de Jean-Marie Dedecker. Celui-ci publiait en 2009 un essai raciste, xénophobe et islamophobe sur les migrations dans lequel il plaidait pour de multiples réductions des droits fondamentaux des personnes migrantes en Belgique. On comprend donc que le contrôle des frontières accru et le durcissement des mesures d’accès au droit d’asile préconisées par ce parti dans un contexte d’accroissement des migrations ne peut que servir les intérêts financiers de Nédée.

Affiche électorale (2007)
Affiche électorale (2007)

Svasta n’est pas la première incursion de Corsendonk dans le domaine de l’accueil. En 2011, alors administrateur de l’asbl Les Fourches « Eurovillage », Dominique Nédée est clair sur ses motivations à louer son centre de vacances d’Herbeumont à la Croix-Rouge. L’accueil de 400 candidat·es à l’asile est tout simplement décrit comme « une aubaine » pour rattraper la situation financière « pas brillante » de l’asbl (La Dernière Heure). L’asbl les Fourches est administrée par le même trio que l’on retrouve dans Svasta : Dominique Nédée, Corsendonk et Corsendonk De Linde. En 2015, L’asbl rachète l’ancien hôpital de Sainte-Ode dans le seul but de le louer à l’agence Fedasil pour l’ouverture d’un centre d’accueil dont la gestion est léguée à la Croix-Rouge. Le centre d’Herbeumont, quant à lui, est actif de 2011 à 2017, selon Fedasil, avant d’ouvrir à nouveau en mai 2020.

 

En parallèle de ces démarches via l’asbl Eurovillage, Corsendonk prévoit en 2015 l’installation de 250 demandeur·ses d’asile dans son hôtel Hooge Heyde. Malgré les discussions avancées entre Fedasil, Dominique Nédée et le bourgmestre de Kasterlee, le projet est enterré en mai 2016 en raison de la diminution des besoins du réseau d’accueil. Le même mois de mai 2016, cependant, le groupe hôtelier Corsendonk et la multinationale britannique G4S, leader mondial de la sécurité, fondent le consortium G4S Care, dédié à l’accueil des demandeur·ses d’asile. Dominique Nédée et son fils Jan-Félix Nédée, gestionnaire de Corsendonk, deviennent tous deux administrateurs de G4S Care et Dominique Nédée en devient le directeur général quelques semaines plus tard. Sur son site, G4S Care annonce être mandaté par Fedasil pour la gestion de trois centres (Turnhout, Retie et Gent) qui équivalent à 752 nouvelles places d’accueil et un budget qu’Alter Échos évaluait à près de 11 millions d’euros.

 

Corsendonk est récemment sorti du partenariat avec G4S, comme le prévoyaient les statuts établis en 2016. La filiale de la multinationale de la sécurité gère toujours trois centres, à Kalmthout (depuis avril 2020, pour 120 places), à Etterbeek (depuis mai 2020, pour 100 places) et à l’ancienne clinique Saint-Joseph de Liège depuis février 2021 pour 500 places.

La chronologie de Svasta, de son côté, suscite un certain nombre de questions. Enregistrée en 2017, la coopérative gère son premier centre en octobre 2020. C’est à partir d’octobre 2019 que Corsendonk commence à louer son camping Spa d’Or à Fedasil pour que la Croix-Rouge y gère un centre de manière temporaire. Le contrat, prévu initialement pour 5 mois, est cependant renouvelé en raison du contexte de Covid-19. Entre-temps, la Croix-Rouge a déjà investi des montants importants pour mettre les infrastructures aux normes de Fedasil. Entre la certitude d’avoir un centre d’accueil aux normes, sans investissement, et des résident·es déjà sur place, Corsendonk n’a plus qu’à récupérer avec sa coopérative le contrat de gestion accordé à la Croix-Rouge. Fedasil ouvre le marché public en novembre 2019 (juste après l’installation de la Croix-Rouge à Jalhay), et en août 2020 Svasta reçoit l’octroi de la gestion du site de Jalhay. Malgré son nom, le marché public est plutôt privé : comme l’a précisé Sammy Mahdi le 30 octobre dernier en séance de la commission Intérieur, « les adjudications sont confidentielles ». En l'occurrence, Fedasil ne pourrait nous communiquer les marchés publics qu’avec l’accord de Svasta.

L’accueil des candidat·es réfugié·es, un business rentable ?

Le développement des activités du groupe Corsendonk dans le secteur économique des centres d’accueil n’est pas un cas isolé. Au contraire, l’accueil des candidat.es réfugié.es serait devenu au cours des dernières années, une opportunité pour des entreprises privées de faire de l’argent, de manière sûre. La Suisse a probablement été le premier pays où les autorités ont eu recours aux opérateurs privés pour gérer des missions liées à l’accueil. Dès 2008, le canton de Fribourg a confié la gestion de l’accueil, l’encadrement, et l’hébergement de demandeur·ses d’asile à une entreprise zurichoise. De manière générale, le recours aux opérateurs privés pour gérer des centres d’accueil se développe dans différents pays d’Europe en 2015, alors que les gouvernements ne parviennent pas à gérer l’arrivée des demandeur·ses de protection internationale. La pratique se développe notamment en Suède, en Autriche ou encore en Angleterre.

 

De la même manière, les autorités belges recourent pour la première fois à des opérateurs privés du secteur marchand en 2015 dans un contexte bien particulier qui était celui de la « crise de l’asile de l’été 2015 où un nombre beaucoup plus important de demandeur.euses d’asile sont arrivés sur un court laps de temps, de façon non anticipée par les autorités, et où des milliers de places d’accueil ont dû être créées très rapidement, souvent dans l’urgence. Et, au mois de novembre de la même année, Fedasil annonçait que 1.162 places étaient déjà disponibles dans sept centres gérés par le privé (CIRÉ, La privatisation de l’accueil des demandeurs d’asile, décembre 2015). Néanmoins, selon un rapport réalisé en 2017 par la Cour des comptes, Fedasil n’aurait pu ouvrir que 2.682 des 8.500 places d’accueil prévues auprès d’opérateurs privés; notamment car de nombreuses offres ne respectaient pas les exigences techniques du cahier des charges, certains opérateurs privés ne proposant que des bâtiments et des infrastructures mais pas d’aide matérielle. Le rapport met également en évidence que le recours au secteur privé en 2015-2016 s’est avéré « relativement laborieux et les résultats de cette collaboration sont restés inférieurs aux attentes » (Accueil des demandes d’asile, Rapport de la Cour des comptes transmis à la Chambre des représentants Bruxelles, octobre 2017).

 

Dans une analyse réalisée en décembre 2015, le CIRÉ met en évidence le marché juteux que constitue l’accueil des demandeur.ses d’asile pour les entreprises privées à finalité commerciale, ainsi que les conséquences et les enjeux que pose la privatisation de ce secteur en termes de politiques sociales et migratoires. Dans ce nouveau marché, les profits sont au rendez-vous. Les chiffres d’affaires des entreprises actives dans le secteur européen se comptent en centaines de millions d’euros. Les marges bénéficiaires peuvent aller jusqu’à 10%,. Des bénéfices non négligeables sont recensés allant du million d’euros pour une entreprise autrichienne à plus de 25 millions d’euros pour une entreprise suédoise en passant par l’Irlande où les profits se chiffrent en millions d’euros et l’Italie où le business de l’accueil est évalué à plus d’un million par jour. En Belgique, ces sociétés percevaient entre 40 et 60 euros par personne accueillie par jour », relève le CIRÉ à l’époque.

 

Mais comment les gestionnaires privés réalisent-ils un bénéfice ?

 

Dans un rapport de la Cour de comptes datant d’octobre 2017, on apprend que la rémunération des partenaires de Fedasil, soit la Croix-Rouge, Caritas, le Samu social et la Mutualité socialiste, diffère de celle en vigueur avec les opérateurs privés. Ainsi, les partenaires sont rémunérés sur base de leurs frais réels. Un nombre de places et un tarif maximum par place ont été fixés par convention entre chaque partenaire et Fedasil3. Le budget maximal des partenaires est calculé sur la base du nombre de places effectivement disponibles, donc y compris les places inoccupées. Depuis 2015, si la capacité d’accueil est inférieure à 94 % (soit le point de saturation), seuls 94 % du budget maximal sont mis à la disposition des partenaires. Dans les limites de ce budget plafonné, les partenaires peuvent ensuite demander le remboursement de tous les frais exposés à Fedasil. Il est impossible de dépasser les tarifs convenus. Les opérateurs privés, eux, sont rémunérés au forfait par place disponible. Les tarifs et le nombre de places auprès des opérateurs privés sont fixés par adjudication publique. Selon le partenaire privé et le centre d’accueil, le tarif adjugé oscille entre 40,50 et 45,75 euros par demandeur.se d’asile adulte et par jour. Pour chaque place disponible, le partenaire privé perçoit dès lors le tarif journalier adjugé. Fedasil ne procède à aucun décompte ou contrôle des frais réels4.

 

Il est difficile de ne pas comprendre comment ce système de rémunération incite les partenaires à réduire leurs dépenses, et dès lors la qualité de leurs services, afin d’effectuer des marges bénéficiaires. Dans une enquête publiée en 2016, le média Alter Echos révélait que, attirés par la rentabilité du marché de l’accueil des demandeur·ses d’asile, « certains prestataires n’ont pas hésité à se distancier de leurs activités initiales pour s’investir dans ce nouveau secteur ». Sont notamment cités les cas de Senior Assist, spécialisée dans l’hébergement de personnes âgées, et des Sept Lieues, organisme gérant l’accueil de personnes en situation de handicap, deux entreprises qui ne sont plus actives aujourd’hui dans ce secteur. L’article évoque aussi la société Refugee Assist,  « officiellement créée au moment où le fédéral a lancé l’appel d’offres pour l’ouverture de places d’hébergement ». Fedasil lui avait délégué la gestion d’un centre d’accueil qui avait ouvert à Couvin, dans un ancien internat en 2016. À l’époque, Refugee Assist avait fait l’objet de nombreuses plaintes de la part des résident·es.

 

Est-il responsable de soumettre la gestion d’hébergements pour demandeur.ses d’asile aux règles du marché alors que les normes et contrôles en vigueur sont bien minces et que les opérateurs privés du secteur marchand sont avant tout motivés par la recherche du profit ?

Déjà en 2015, le CIRÉ mettait en garde : « Cette privatisation des centres d’accueil s’inscrit dans le mouvement général de déclin de l’État providence. Selon certains auteurs, il ne peut être démontré que les privatisations de certains pans de l’aide sociale sont plus efficientes que le service public en termes de qualité de l’aide proposée ou de coût budgétaire. Il faut aussi garder à l’esprit que cette mesure, prise à la faveur d’une crise, ne peut susciter que peu d’opposition et de critique. De fait, les éventuelles victimes d’exclusions et de baisses de qualité sont des étrangers qui, en tant que non citoyens, n’ont en tout état de cause pas politiquement voix au chapitre. Il s’agit surtout d’un dangereux précédent qui permet aux autorités publiques d’échapper à leur responsabilité en ce qui concerne les politiques d’aide et d’assistance sociales qui sont désormais confiées aux agents et lois du marché » (CIRÉ, La privatisation de l’accueil des demandeurs d’asile, décembre 2015).

 

Lors de l’intervention parlementaire en Commission de l’Intérieur du 30 octobre dernier, le représentant Greet Daems s’est particulièrement inquiété « de la sous-traitance au secteur privé de l'exploitation de plusieurs centres d'accueil » et a mentionné « une étude réalisée en 2017 par la Fédération des services publics, dans laquelle l'accent est mis sur les risques liés à une telle pratique. La qualité des services décline souvent, le personnel n'est pas toujours bien formé, les normes qualitatives sont trop faibles et la santé des résidents ne peut pas toujours être garantie » avant de formuler cette question : « Le recours au secteur privé constitue-t-il une mesure structurelle pour garantir la capacité du réseau d'accueil belge ? »

 

 


 

 

Nous dénonçons le traitement honteux et les conditions de vie indignes, de même que les violences physiques et psychologiques imposées aux résident·es de Jalhay par la société Svasta. Nous dénonçons l'exploitation des résident·es et les dysfonctionnement qui sont des effets directs de la marchandisation de l'accueil et de la privatisation de ce travail social. Nous dénonçons également l'ensemble d'un système déficitaire en termes de réglementations minimales qui permet à des sociétés privées de s'enrichir sur le dos et au détriment des candidat·es réfugié·es. Le manque de transparence qui caractérise le sujet rend difficile le contrôle externe ou la veille militante et citoyenne. Nous remercions les résident·es d'avoir accepté de témoigner et nous espérons que cela contribuera à améliorer leur situation.

Dans la presse

Notes

  1. Afin de garantir l'anonymat des personnes interviewées, leurs noms sont remplacés par une initiale aléatoire.
  2. Pour consulter le récapitulatif de l'ensemble de ces sociétés, un tableau est disponible ici
  3. En 2017, le tarif journalier est de 42,48 euros par demandeur·se d’asile adulte, de 70,52 euros par MENA (Mineur étranger non accompagné) et de 83,49 euros pour les places médicales).
  4. Accueil des demandeurs d’asile,Rapport de la Cour des comptes transmis à la Chambre des représentants Bruxelles, octobre 2017, p.41.