Épisode 4 : L’exil pour quotidien

Épisode 4 : L'exil pour quotidien

Été 2020, Sud de la Belgique. Plongée dans un petit campement de fortune auprès de personnes en exil qui n’aspirent qu’à une chose : rejoindre l’Angleterre. Leur eldorado. Chaque soir, ils et elles sont des dizaines à « tenter leur chance » sur les parkings autoroutiers.

Les quotidiens sont souvent durs. Il faut affronter le froid, la faim, la soif, l’insécurité permanente liée au manque de repère, le danger des tentatives nocturnes, la répression policière, les centres fermés. Certain.e.s mènent cette vie depuis plusieurs années. Ici, dans le campement, un groupe de bénévoles se relaient pour aider celles et ceux qu’iels appellent affectueusement les « ami·es ». Et redonner un peu de sens au mot humanité.

Traductions

Intro

H. : Ici c’est notre cuisine. Là, c’est notre chambre. On est six, on est trois couples mais on est comme une famille. Et là c’est notre salle de bain. On se brosse les dents là, on peut se laver le corps ici.
J. : Et il y a ici aussi pour laver les vêtements.
H. : Ha oui, et on peut sécher nos vêtements ici.

***

F. : Salut. Comment ça va ?
T. : Ça va bien.
F. : J’ai des médicaments pour toi. Tu mets une goutte, ok ?

2'59 : Témoignages de H. et S.

H : Mon nom est H. Je viens d’Erythrée. Ce pays n’est pas un endroit sûr, tout le monde le sait. Dès que tu as 18 ans, tu dois servir dans l’armée. En plus, nous sommes chrétiens et ils (le gouvernement) refusent le droit de culte aux chrétiens. On ne peut pas vivre comme ça. Donc on a tout quitté. On a laissé notre famille derrière nous: pères, mères et enfants.

En partant, on ne savait pas où on irait. On voulait juste s’échapper de notre pays. On a passé beaucoup de temps en Lybie. On a traversé la mer jusqu’en Italie. On est toujours en vie…

On a deux enfants (restés au pays). Ici, à côté de moi, c’est mon mari. On veut donner une meilleure vie à nos enfants. Pour le moment, ils vont bien mais dans le futur, ce ne sera plus le cas. C’est pour eux qu’on est partis. On doit se sacrifier. Ce n’est pas facile pour nous. C’est particulièrement difficile pour les femmes.

Ici (dans le campement), nous vivons de cette manière car nous voulons aller au Royaume-Uni. Il y a un parking, alors on va jusque-là, on ouvre les camions. On entre à l’intérieur. Peut-être que le camion va jusqu’en Angleterre, peut-être pas. Mais on essaye. Parfois, le camion s’arrête quelque part en Belgique, à Gand ou Ostende. Et de temps en temps certains amis réussissent à aller jusqu’en Angleterre.

Il arrive qu’on se fasse attraper (par la police). C’est 50-50 niveau chance. Parfois avant de commencer le trajet, le chauffeur nous surprend et appelle la police. Parfois, on va en centre fermé… A Bruges. C’est arrivé deux fois. Une première fois, pour un temps assez long. Une seconde fois, environ une semaine.

Malgré tout, on continue d’essayer…

S : Quand tu vis 24 heures sur 24 comme ça, pendant plus d’un an, ce n’est pas gai. J’étais ici l’hiver dernier. Je me souviens qu’il faisait -16 degrés. C’était dur

H : Malgré tout, on continue d’essayer d’aller en Angleterre. On pense que c’est mieux là-bas pour nous. C’est plus facile pour avoir accès à des papiers, à un travail.

Migrations Libres : Comment tu sais ça ?

H : On connait des personnes qui vivent là. On a des amis qui ont réussi à traverser et ils vivent bien là-bas. On a des amis ici (qui ont demandé l’asile en Belgique), ils vivent dans un centre, ils sont toujours en procédure depuis deux ans, parfois trois. A certains amis, on a refusé l’asile.

Migrations Libres : depuis combien de temps essayez-vous d’aller en Angleterre ?

S : un an
H : plus d’un an…

19'25 : témoignage B.

B : j’ai 33 ans et je viens d’Erythrée. Dans un premier temps, on a quitté notre pays pour aller dans le pays voisin. Mais on ne pouvait pas vivre en paix dans ce pays, car parfois ils nous mettent en prison. C’est pourquoi on a quitté l’Afrique pour aller en Europe. On voulait avoir accès à de vrais droits humains.

Migrations Libres : comment as-tu voyagé depuis l’Afrique jusqu’en Europe ?
On a traversé la Lybie, puis la mer Méditerranée. Beaucoup de gens souffrent en chemin. Le voyage commence dans la souffrance et finit dans la souffrance. C’est vraiment dur de réaliser ce voyage.

Migrations Libres : combien de temps a duré ton voyage ?

B. : Presque 4 ans. On est resté en Lybie plus de deux ans. On a été emmenés en prison par le passeur. On a payé plusieurs milliers de dollars (pour sortir de prison). Les passeurs nous avaient vendus.

Migrations Libres : Quel a été ton premier pays d’arrivée en Europe ?

B : L’Italie. En Italie, on ne s’occupe pas des réfugiés. Ils s’en foutent des réfugiés. Alors j’ai demandé l’asile en Belgique. Mais ils m’ont dit que je devais faire ma demande en Italie. J’ai passé six mois dans un centre (en Belgique), puis ils m’ont forcé à retourner en Italie. L’Italie est la porte d’entrée de l’Europe pour les réfugiés. C’est pourquoi on doit se répartir entre les autres pays d’Europe. J’ai déjà demandé l’asile en Belgique. J’ai été « dubliné » deux fois (B. a fait l’objet d’une procédure Dublin1). Si je demande l’asile dans un autre pays européens, je serai encore « dubliné » donc…

Migrations Libres : Mais en Angleterre, ce sera pareil…

B. : En Angleterre, c’est mieux car ils comprennent mieux les difficultés des réfugiés. Ils savent qu’on est passés par beaucoup de difficultés pour atteindre l’Angleterre…

Migrations Libres : Quand tu dis « Je vais essayer ce soir », qu’est ce que ça veut dire exactement ?

B. : « Essayer », c’est… La manière d’atteindre l’Angleterre. En Europe, on voyage simplement en train. Pour atteindre l’Angleterre, on doit utiliser un autre moyen… On utilise les camions. Car on n’a pas d’autres options. Mais il n’y a pas tant de camions que ça… Des fois on va là, on monte dans un camion. La plupart du temps, on va là, on attend, puis il n’y a pas de camion… Nous ne sommes que des réfugiés. On ne veut pas de problème. Notre objectif est d’arriver en Angleterre, c’est tout. Si le chauffeur ouvre son camion, on sort, calmement. Si la police nous attrape, on les écoute. S’ils nous disent de partir, on part.

22'40 : Témoignage de M.

M. : Mon nom est M. Je viens d’Éthiopie. J’ai 24 ans. J’ai quitté mon pays en 2015. Le voyage est vraiment difficile. Pour aller du Soudan à la Lybie, tu dois traverser le désert du Sahara. Ça prend cinq ou six jours. Après, il faut traverser la Méditerranée. C’est difficile.

Migrations Libres : Quand tu as quitté l’Éthiopie, tu savais déjà où tu voulais aller ?

M. : Au Royaume-Uni

Migrations Libres : Tu savais déjà que ce serait le Royaume-Uni ?

M. : Oui

Migrations Libres : Pourquoi ?

M. : Parce que je peux travailler là-bas, je pays épargner de l’argent. J’ai beaucoup d’amis là-bas. Dans un autre pays européen, c’est très difficile d’obtenir des papiers.

Migrations Libres : As-tu as essayé d’avoir des papiers en Belgique ?

M : Non, je n’ai pas essayé. Passer l’interview (à l’Office des étrangers) est difficile… Si je dis que je viens d’Éthiopie, on ne me donnera pas de papier. C’est la réalité… Je pense que j’ai imaginé l’Europe comme un paradis. Mais ce n’est pas un paradis.

Migrations Libres : Pourquoi pas ?

M. : On rencontre des gens racistes. On doit aller en prison, pour rien. Parfois les gens nous insultent, sans raison. Parfois, le gens se battent avec nous…

Migrations Libres : Tu as été en prison ?

M. : Oui, en Belgique, dans un centre fermé, trois fois…

Migrations Libres : Quel est ton rêve ?

M. : Mon rêve ? Mon rêve… Je veux vivre une vie normale, tout comme toi.

 25'45 : Témoignage de H., J., S.

H. : On doit dire merci aux personnes en Belgique. Parce qu’ils nous ont accueillis et ils essayent de nous aider. De manière évidente, ils nous aident. Nous, on n’a rien. Quand ils nous accueillent dans leur maison, on se sent comme chez nous.

J. : Oui, on y va le week-end, on prend une douche, on mange, on se repose. Je me sens comme chez moi.

H. : Oui, on les aime. Jamais de ma vie je n’oublierai les gens en Belgique. Ils sont tous formidables… On les aime…

S : J’espère chaque jour que je me réveillerai en Angleterre. Ça prendra juste un peu de temps mais ça va changer. Je le sais.

Crédits

Une création de Migrations Libres

Musique libre de droit.

Emmit Fenn – Creep

Thoribass – Quiet Tree

 

Notes

  1. Le règlement de Dublin est une législation européenne qui vise à empêcher les candidats à l’asile d’introduire des demandes des plusieurs Etats-membres. La règle est qu’il y a un pays européen pour chaque candidat l’asile. Le règlement Dublin contient une liste de critères (définis en fonction du premier pays d’arrivée, d’une demande déjà introduire, de l’existence d’un visa, de la présence de membres de la famille) qui permettent de déterminer quel est État membre responsable de la demande d’asile. Les candidats à l’asile qui introduisent une demande dans un pays qui n’est pas responsable de leur dossier font l’objet d’une procédure Dublin, ils sont « dublinés ». Ils doivent alors se rendre dans le pays responsable de leur demande. En Belgique, l’Office des étrangers peut enfermer les demandeurs dublinés en centre fermé en vue de leur expulsion vers le pays responsable de leur demande.
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